Le Seigneur de Mongôa


La lune était pleine et par son voile blanc éclairait la plaine. Les hautes herbes dansaient sous le vent léger et son murmure était aussi doux que le chant des sirènes. Du moins c'est ce que s'imaginait le petit Malky en la traversant. Malky était par le sang le fils du grand Shun Khâ, seigneur tout puissant du pays de Mongôa. Peu soucieux de son rang, Malky vivait l'insouciance de ses douze ans. Il passait le plus clair de son temps à jouer dans les plaines et les forêts infinies de Mongôa à moitié nu, tel un petit sauvage, au grand désespoir de son père.
Cette nuit était la sienne, il le savait, il l'avait choisie. Sa beauté surpassait toutes les autres nuits et sa douceur était sans égale. Cette nuit, sa nuit l'enveloppait et caressait sa peau déjà tiède. Malky savourait cette forme simple de bonheur dont lui seul avait le secret. Il s'approchait à la lisière des bois quant les arbres se mirent à chanter. Leurs feuilles s'agitaient doucement d'abord. Puis, leur mouvement se fit plus amples, plus rapides. Malky s'arrêta. A présent les feuilles s'agitaient dans tous les sens et dans un bruit effroyable. Malky avait peur. Cette sarabande l'avertissait d'un danger proche, maintenant inévitable. Epouvanté par un tel spectacle, il n'osait à peine respirer. Soudain, une ombre surgit de nul part et se dressa devant l'enfant. Malky n'eut aucun mal à le reconnaître : c'était Volskan le maître d'arme de la cité mère de Mongôa. Cette machine de guerre était réputée pour son orgueil et sa brutalité mais c’était ses réelles aptitudes au combat et son rang qui lui procurait respect et admiration. Il n'était pas armé et portait une lourde armure de cuire serrée par un ceinturon à grosse boucle. Les mains sur les hanches il s'adressa au jeune sauvage :
- Malky, progéniture du grand Shun Khâ. Et il rit grassement...
Assez jouer Mowgli ! Suis-moi à présent.
- ... Non !
- Très bien.

Sur ces paroles il empoigna le garçon et s'enfonça avec lui dans la forêt obscure. Malky n'offrit aucune résistance. Il savait qu'il n'avait aucune chance, même minime, d'échapper au colosse. Volskan vivait dans la jalousie et la haine depuis la naissance de Malky. Ce jeune effronté se révélait l'unique héritier du trône alors qu'avant, seul le meilleur guerrier de la cité avait une chance de voir son sang devenir royal. L'occasion pour Volskan d'en finir avec Malky se présentait enfin. L'enfant le savait.

Après dix bonnes minutes de marches, ils arrivèrent dans une clairière. De son œil unique, la nuit observait de nouveau la scène. L'ombre des arbres s'étirait et donnait au lieu une dimension fantastique. Aveuglé par sa soif de pouvoir, Volskan demeura insensible à la féerie du moment et se contenta de pousser violemment le jeune Malky au pied d'un vieux chêne. Bien que le choc fut douloureux, l'enfant ne laissait rien paraître sur son visage. Malky avait conservé toute la pureté de l'enfance et offrait à son agresseur ses immenses yeux bleus. Son corps fragile, presque trop maigre, ne résisterait pas longtemps aux assauts de Volskan. Le colosse s'avança sur le garçon couché près du large tronc. Il peinait à se relever lorsque les mains géantes de Volskan se resserrèrent sur son cou. Malky ferma les yeux. Il avait mal. L'étau ne serrait inexorablement plus fort. Il n'arrivait plus à respirer. Peu à peu, un voile noir l'envahissait. Quand d'un seul coup, il sentit la pression se relâcher. Il toussa et ouvrit doucement les yeux. Bien qu'étant encore sous le choc, le spectacle auquel il assistait n'était pas une hallucination. Le redoutable Volskan se trouvait prisonnier par les puissantes branches des chênes, saules et autres arbres qui bordaient la clairière. Malky se releva et s'approcha de son bourreau à présent inoffensif. Les yeux exorbités par la peur, Volskan souffrait plus de l'épouvante que de la douleur. Petit à petit les branches continuaient à resserrer leur étreinte, déchirant l’armure, pénétrant dans la chair du maître d'armes. L'enfant tendit le bras et posa sa main sur l'une des branches. "Assez !" dit-il. A ces mots les branches se retirèrent une à une, glissant les unes sur les autres, pour enfin reprendre leur forme normale. Volskan tomba à genou, les vêtements en lambeaux, la peau lacérée. Il redressa péniblement la tête et bégaya : "Malky, seigneur de Mongôa ton pouvoir est celui des Dieux. Disposes de moi, même si La mort est le seul châtiment méritant pour un homme de mon espèce.". Un homme ? La créature prostrée aux pieds de l'enfant n'en était plus un. Malky se tourna vers la Lune et dit seulement "vas-t’en". Volskan ne réalisa pas tout de suite. Sans doute aurait-il préféré la mort. Il contempla ce jeune Dieu encore un instant puis s'enfuit aussi vite que ses lourdes jambes lui permettaient. Malky, quant à lui pria un peu car c'était la nuit, Sa nuit...

THE END.

A mon frère,
Mykir Thorwing.